“Et si j’avais eu une hallucination?” me demandais-je soudain. Debout sur le trottoir, je restais immobile un long moment, à regarder tomber la pluie. J’étais redevenu un petit garçon de douze ans. Enfant, j’aimais bien regarder tomber la pluie sans rien faire. Mon corps se décontractait alors peu à peu, il me semblait que le monde de la réalité se diluait sous les gouttes. Il devait y avoir dans la pluie une force particulière qui hypnotisait les gens. C’est du moins ce que je croyais à l’époque.
Mais je n’avais pas rêvé: quand je retournai au bar, je trouvai sur la comptoir, devant le siège où Shimamoto-san était assise un instant plus tôt, un verre vide et un cendrier contenant plusieurs mégots encore frais, avec des traces de rouge à lèvres. Je m’assis sur le tabouret voisin, fermai les yeux. L’écho des notes de musique s’éloigna peu à peu, je demeurai seul. Dans les douces ténèbres où j’étais, la pluie tombait sans discontinuer.
Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil.
Haruki Murakami.
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Hace 8 años